Billet d'une invité (voir détails à la fin) :
Que l’on considère le golden boy du film des années 80 « Wall Street » ou l’ultra-capitaliste qui surfe sur la crise financière pour spéculer et recevoir des bonus faramineux, le métier de trader nourrit l’imagination et les fantasmes ; il semble vivre à coté de la société, et toute l’organisation de son travail alimente cette mise à distance d’un quotidien « normalisé ».
Que l’on considère le golden boy du film des années 80 « Wall Street » ou l’ultra-capitaliste qui surfe sur la crise financière pour spéculer et recevoir des bonus faramineux, le métier de trader nourrit l’imagination et les fantasmes ; il semble vivre à coté de la société, et toute l’organisation de son travail alimente cette mise à distance d’un quotidien « normalisé ».
Dans son milieu professionnel prônant l’hyper-performance, il est soumis à des
diktats qu’il intériorise et fait siens. Il établit un plan de carrière bien défini et doit prouver, pour le mener à terme, qu’il est le meilleur. Il n’y a pas trente-six façons d’y arriver : le métier de la finance ne s’interrompt jamais (les bourses ferment mais la Bourse ne ferme pas !), si bien que le trader se retrouve souvent sans attache géographique (pour les expatriés) et sans limite de temps ou d’espace. Le bon élément repousse donc les limites du temps de travail légal, du temps de vie personnelle, du temps de sommeil, tout en sortant entre collègues de bureau pour prouver que tous ces bons résultats, il peut les obtenir sans faire beaucoup d’efforts.
L’entreprise porte sa part de responsabilité, dans la mesure où le système de valeur est souvent fondé sur l’excellence (« nous recrutons les meilleurs candidats, donc nous sommes les meilleurs sur le marché ») et le confort (cafétéria design, salle de sport high tech, conciergerie, etc.). Cette organisation sans faille, basée sur l’efficacité des salariés et leur bien-être apparent, incite ces derniers à donner le meilleur d’eux-mêmes pour satisfaire un employeur si généreux. Mais sur le fond, ce mode de fonctionnement peut conduire à la schizophrénie. Il revient à dire au salarié : « Je te fais du mal avec le sourire, alors tu dois me remercier ».
Si cette course effrénée est encouragée par l’entreprise, elle est également
alimentée par le trader lui-même, son passé et ses failles narcissiques. Il faut
rechercher la source de cette volonté de gravir les échelons. Est-ce pour prouver qu’on est le meilleur ? Mais alors à qui ? Et qu’investit-on en dehors du travail ?
La question est cruciale pour l’équilibre de tout individu : quelle est la part réservée à la vie personnelle ? Dans le passage à l’acte suicidaire, les personnes ont bien souvent une vie personnelle sous-investie tant du point de vue physique que psychique.
Avoir une famille et des amis ne saurait suffire : ne pas leur consacrer un minimum de temps peut se révéler aussi destructeur que l’isolation et l’absence totale d’entourage. Dans ce dernier cas de figure, le sujet se sent en décalage, étranger à son environnement. Il a l’impression de ne pas faire partie du même monde. Refusant de montrer la moindre faiblesse, il n’en parle pas et fait « comme si ».
Après le passage à l’acte, c’est donc en toute bonne foi que l’entourage, même le plus proche, jure ne rien avoir vu venir. Ce mode opératoire est d’autant plus courant que la personne est haut placée dans la hiérarchie, donc défensive puisque toute puissante.
Aussi, cette recherche de l’infaillibilité pousse toujours plus loin le salarié soumis à de fortes pressions et le déséquilibre entièrement : il se coupe ainsi petit à petit du monde « réel » (son foyer, ses loisirs) et repousse ses limites physiques, parfois au moyen de substances addictives (alcool, drogue, sur-médication, recherche d’adrénaline). Il se constitue une image de lui-même tronquée, qui affaiblit ses ressources propres sans qu’il en ait bien souvent conscience. Il faut imaginer une noix possédant au départ un cerneau développé au point de remplir entièrement la coquille, rendant le tout dense et robuste ; au fil du temps, le cerneau se rabougrit, se replie sur lui, noircit et diminue. De l’extérieur, la coque est toujours aussi belle et paraît solide, mais il suffit d’un petit choc pour qu’elle se brise comme du verre.
Que se passe-t-il alors lorsque la crise financière, les restructurations dans le secteur bancaire, le lynchage médiatique viennent frapper cette coque ? Le trader parvient-il à maintenir le cerneau fort et épanoui ou le laisse-t-il se racornir ?
Dans un corps de métier où il semble parfois que le plus heureux ne sera jamais le meilleur , l’enjeu est de taille : quelle perspective d’avenir le trader doit-il envisager ?
Être moins riche qu’il ne l’espérait à 30 ans ? ou être à 30 ans le plus riche du
cimetière ? Il n’y a pas de troisième choix !
L'auteur de cet article est Clotilde Lizion : Psychologue clinicienne spécialisée en psycho-traumatisme en milieu professionnel, prise en charge des hauts potentiels et gérante de la SARL LCCL. www.lccl.fr
Ca me rappelle un reportage sur Google diffusé il y a quelques années...
RépondreSupprimerLes traders peuvent aussi être maladie mais de l'argent?
RépondreSupprimerPassionnant !!
RépondreSupprimerMême s'il ne me semble pas inutile de rappeler que le mot "trader" recouvre des réalités très diverses (et parfois très éloignées des univers/modes de vie traditionnellement fantasmés et des extrémités présentées ici...).