Ethanol: Se nourrir ou conduire, faut-il choisir?

Et si nous parlions un peu de nature, d'agriculture et de pétrole aussi (faut pas trop déconner quand même)?


En 2011, l'éthanol est devenu le premier usage de la "production" de maïs aux Etats-Unis avec un peu plus de 40% du total des récoltes, soit une part supérieure à celle destinée à l'élevage, le reste est pour les autres usages, dont les Corn Flakes® ou l'aide alimentaire. En effet, il est estimé que 5.05 milliards de boisseaux auront été transformés en éthanol en 2011, contre 5 milliards pour alimenter le bétail.

Bien entendu, l'éthanol n'a pas pris autant d'importance en une seule année, ce résultat est le fruit d'un long processus soutenu par le Congrès US, les prix élevés du pétrole et les considérations écologiques, réelles ou déguisées. Logiquement, la part toujours plus importante de l'éthanol dans les récoltes de maïs a eu et a encore pour incidence d'exercer une pression haussière sur les prix du maïs et autres céréales, qui contribue à ce que le Maïs s'échange actuellement à environ 6.25 $ le boisseau, certes moins qu'en début d'année dernière, mais bien plus que la moyenne
(environ 3.25 $ le boisseau en moyenne sur ces 10 dernières années). En 2011, le prix d'un boisseau de maïs a été de 6.79 $ en moyenne, ce qui est un record historique. Bien évidemment, d'autres éléments ont contribué à l'envolée des prix des matières premières agricoles, la création des ETFs dans les années 90 qui a permis à n'importe quel détenteur de compte-titre d'échanger du maïs (et autres) ou encore l'augmentation de la demande liée au changement des habitudes alimentaires de millions d'individus (plus de protéines = plus de bétail = plus de fourrage). 

Cher lecteur, veuillez prendre note que vous ne trouverez pas ici un message alter-mondialo-culpabilisateur, mais le fait est qu'aujourd'hui, la phrase d'Alfred Sauvy est quelque peu erronée. Ce dernier avait déclaré que les concurrents des pauvres sous-alimentés n'étaient pas les riches, mais les vaches des riches. Désormais, les concurrents des pauvres sous-alimentés sont les vaches de tous les pays (pas que les pays riches), les tracteurs, SUVs, et pratiquement tous les automobilistes Français qui ne conduisent pas un diesel (d'ailleurs un diesel, que c'est mou, mais bon ,vous faites ce que vous voulez). Mais si les pauvres des pays pauvres ont quelque chose à y perdre pour des raisons évidentes, qui bénéficie de cet éthanol à base de maïs? La planète, les conducteurs/contribuables, les vaches? 

  • La planète: Il est fréquent d'entendre qu'utiliser un mélange d'éthanol et d'essence permet de réduire les émissions de gaz à effet de serre. ON VOUS MENT. Cela est valable pour les mélanges à forte concentration d'éthanol, ceux qui ne sont pas adaptés à tous les moteurs, mais c'est une aberration pour les mélanges que l'on trouve un peu partout tel que le SP95-E10 qui est dans la plupart des stations service en France, composé de bon pétrole importé et de maïs/betterave made in France (YEAH!). Oui mais seulement 10%... Avec une aussi faible concentration d'éthanol, la diminution des émissions est quasi nulle (voire carrément nulle), elle ne serait que de 2 à 3% pour les véhicules roulant au SP95-E10, mais il faut prendre en compte les émissions liées à la production de l'éthanol et à son transport, mais aussi le fait que la consommation du véhicule augmente sensiblement à cause de la plus faible teneur énergétique de l'éthanol par rapport au SP95 classique. Autant dire que l'effet soit disant positif est négligeable voire nul quand il faut transporter l'éthanol sur longue distance, ce qui est d'ailleurs le cas entre USA et Brésil (j'y reviendrai un peu plus loin). 
  • Les automobilistes alors? Oui et non, pas tant que cela en réalité. Regardez les prix à la pompe, la différence entre SP95 et SP95-E10 est si faible que l'augmentation de la consommation du moteur annulera le gain économique. Par ailleurs, ces automobilistes sont aussi des contribuables, du moins une partie d'entre eux, et en parlant de contribuables j'en viens à ce qui constitue sans doute la principale raison du boom de l'éthanol: les subventions !  En effet, les farmers US ont bénéficié de subventions depuis 1979, subventions d'environ 6 milliards $ par an ces dernières années. (0.51 $ par gallon), ce qui fait annihile tout ou partie des gains du consommateur in fine. 
  • Les vaches? Les pauvres se payent parfois de la farine de soja, je ne sais pas ce qu'elles en pensent (ndlr: à www.margincall.fr, nous aimons les animaux).
  • La véritable réponse n'est autre que la suivante: ce sont les farmers et producteurs d'éthanol US qui ont bénéficié pleinement du développement de l'éthanol. Pendant des décennies, ils ont bénéficié d'une véritable situation de rente avec les subventions mentionnées précédemment, tout en bénéficiant de la mise en place de droits de douane sur les importations d'éthanol: 0.54$ par gallon ! Par ailleurs, George Bush Jr a imposé que l'essence contienne une certaine quantité d'éthanol, quantité qui augmente année après année. Tout cela pour réduire la dépendance américaine au "foreign oil", et qui a clairement contribué à réduire les importations de pétrole Saoudien, à tel point que ces deux sources de carburants sont devenues presque équivalentes, et d'ici quelques trimestres, les USA importeront moins de pétrole Saoudien qu'ils n'utiliseront d'éthanol. J'emploie le verbe "utiliser", car les USA sont aussi devenus exportateurs d'éthanol, en particulier à destination du Brésil, grâce aux subventions...


Vous l'aurez compris, les grands gagnants du boom de l'éthanol sont essentiellement les producteurs d'éthanol et les farmers US, y compris ceux qui ne cultivent pas le maïs puisque l'éthanol a pour conséquence indirecte de soutenir les prix du blé et du soja. Les autres, les automobilistes ainsi que les affamés du monde entier, n'en retirent pas de réel bénéfice, bien au contraire dans une certaine mesure. L'environnement? Cet éthanol là, à base de maïs et faiblement concentré n'apporte aucune solution concrète, et je pense qu'aucun écologiste qui se respecte croit encore aux bienfaits de ce composant de carburant. Cela dit, la situation est appelée à évoluer.

En effet, les subventions US ont été suspendues au 1er janvier de cette année, de même que les droits de douane. Cela est tout à fait normal puisque cette industrie n'en est plus à ses débuts, elle est même proche de la maturité. Il existe déjà plus de 200 raffineries aux USA, essentiellement dans le Mid-West, qui utilisent le maïs pour produire dans les 14 milliards de gallons par an. Mais aucun projet de grande ampleur n'est en prévu, du moins aucun projet pour cet éthanol de première génération, il faut bien manger un petit quelque chose, non? 

Si la décennie 2000 a été celle de l'éthanol à base de maïs, la décennie 2010 pourrait être celle de l'éthanol cellulosique (j'insiste sur le fait que c'est incertain). Ce type d'éthanol est à base de lignocellulose, que l'on trouve dans la plupart des végétaux. En réalité, l'éthanol cellulosique peut provenir de tous les déchets végétaux, tiges de maïs, la paille ou encore les déchets des coupes forestières! Par ailleurs, la réduction des émissions de gaz à effet de serre est cette fois significative (potentiellement jusqu'à 90% par rapport à l'essence selon le Department of Energy) et il a le grand avantage de ne plus mettre en concurrence voitures, vaches et humains. Il reste encore beaucoup trop cher à l'heure actuelle, mais le gouvernement US soutient son développement à coup de millions mais les différents projets ont tous pris beaucoup de retard. Cependant, Washington n'abandonnera certainement pas, après tout, un gallon d'éthanol made in USA, c'est autant en moins dans la poche des Saoudiens. 

L'éthanol  à base de maïs a bien des externalités négatives, mais il a au moins eu le mérite d'ouvrir la voie à l'éthanol de seconde génération qui, s'il devient économiquement viable, permettra de réduire les importations de pétrole et les émissions de polluants, et sans exercer de pression haussière sur les prix des denrées agricoles. Et tout le monde serait content, y compris les gaucho-tiers-mondo-culpabilisateurs. Sauf peut-être les farmers US et les producteurs de pétrole... 


Allez, la bise.






4 commentaires:

  1. Si des bloggers ont plus d'infos sur l'éthanol cellulosique (où en est la recherche ?) je suis preneuse !!
    Très bon article.
    Merci LC

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  2. Petit complément:

    L'éthanol cellulosique existe déjà, mais il reste quelques difficultés à surmonter pour l'exploiter à grande échelle et surtout il faut parvenir à en réduire le coût pour qu'il soit économiquement intéressant.
    Le gouvernement US a déjà versé plus de 1.5 milliards $ pour la recherche et de nombreuses raffineries sont actuellement en construction, mais le développement est beaucoup plus lent que prévu, certaines entreprises subventionnées ont même fait faillite...
    Pour des détails plus techniques, je ne fais plus l'affaire.

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  3. Oui j'avais lu ça y a quelques années à l'époque où ça commençait à faire un peu de bruit (il y a 4/5 ans si mes souvenirs sont bons) mais j'ai un peu lâché le fil ...
    Merci en tout cas ;)

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  4. Y a pas à tortiller du cul pour chier droit, j'adore ce que tu écris mon petit L.C !!

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